France : l’élan des collectivités vers la sobriété numérique

Au cœur de la pittoresque ville de Deauville, les 20 et 21 juin derniers, le 32ème congrès du coTer numérique a ouvert ses portes, consacrant deux jours à un thème brûlant et en constante évolution : la sobriété numérique. Cet événement majeur a rassemblé 450 collectivités de toute la France, non pas pour une simple conférence, mais pour une exploration collaborative à travers 80 ateliers thématiques des défis et des opportunités que représente cette réalité. Bien que certaines collectivités soient fortement engagées et progressent dans la mise en œuvre de la sobriété numérique, d’autres peinent à avancer et accusent un retard notable. Le congrès a servi d’échanges et de réflexions, pour mettre en lumière ces avancées, offrant à la fois une reconnaissance des efforts réalisés et un appel à l’action pour celles encore à la traîne. Dans un paysage numérique en pleine mutation, ce contexte hétérogène suscite une attention particulière. Décortiquons la sobriété numérique sous l’angle législatif, éclaircissons les obligations des collectivités et mettons en lumière les avantages et stratégies d’action.

Comprendre la sobriété numérique et son contexte législatif

La sobriété numérique n’est pas un simple terme à la mode. Il s’agit d’une nécessité pour réduire l’impact environnemental de notre utilisation croissante des technologies numériques. Au cœur de cette démarche, la loi REEN en France, qui vise à établir un cadre réglementaire solide pour inciter les organisations, y compris les collectivités territoriales (communes et intercommunalités de plus de 50 000 habitants), à adopter des pratiques numériques responsables et durables. Elle introduit des mesures concrètes telles que l’extension de la durée de vie des équipements informatiques, la promotion de l’écoconception des logiciels et l’instauration de quotas d’émissions pour les centres de données. À l’échelle européenne, le Green Deal et le Digital Services Act viennent compléter ce cadre, visant à harmoniser les règles et à promouvoir la responsabilité numérique à travers le continent. Le contexte législatif, riche et en constante évolution, s’appuie également sur des normes internationales telles que les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. L’interaction complexe entre ces différentes couches de législation crée un environnement dynamique et stimulant, exigeant une attention constante et une expertise spécialisée de la part de tous les acteurs. Leur mise en œuvre efficace nécessite une collaboration étroite entre gouvernements, entreprises, et la société civile, posant la France et l’Europe en général comme des leaders dans le mouvement mondial vers une technologie plus responsable et durable. 

Rôle et responsabilité des collectivités territoriales

Les collectivités jouent un rôle essentiel dans la transition vers la sobriété numérique. Leur impact sur le territoire et les obligations réglementaires auxquelles elles sont soumises peuvent guider les autres secteurs et acteurs français vers des pratiques plus responsables. Les partenariats et la collaboration avec les entreprises et les citoyens sont également indispensables pour instaurer une culture de la sobriété numérique dans la société. Les collectivités sont donc à la fois régulateurs et facilitateurs dans cette transformation essentielle.

Dans un contexte opérationnel, elles peuvent agir en définissant des objectifs clairs en matière de réduction de l’empreinte carbone des infrastructures numériques locales, en promouvant l’utilisation de technologies éco-efficientes et en instaurant des normes pour les achats publics de matériel informatique. Elles ont également la responsabilité de travailler en étroite collaboration avec les fournisseurs de services numériques locaux pour garantir que les exigences en matière d’écoconception soient respectées.

Le rôle de facilitateur des collectivités implique aussi la sensibilisation et l’éducation des citoyens à travers des campagnes d’information et des programmes de formation. Le développement d’incitatifs financiers ou fiscaux pour encourager l’adoption de pratiques numériques sobres peut également être une stratégie efficace.

Les collectivités peuvent également encourager l’innovation en collaborant avec des start-ups locales et des centres de recherche pour développer des solutions technologiques qui répondent à la fois aux besoins de la communauté et aux impératifs environnementaux. En servant de modèle et en partageant les meilleures pratiques, elles peuvent inspirer d’autres régions et secteurs à suivre le chemin vers une utilisation numérique plus éthique et durable.

Les collectivités territoriales, en tant qu’acteurs clés de la transition vers la sobriété numérique, sont chargées d’une mission complexe nécessitant une action coordonnée à différents niveaux. Leur rôle s’étend bien au-delà de la simple réglementation, englobant l’éducation, l’innovation, la collaboration et la mise en place de mesures incitatives, toutes indispensables et complémentaires pour façonner un avenir numérique plus responsable.

Les bénéfices de la sobriété numérique pour les collectivités territoriales

Adopter une approche de sobriété numérique offre de multiples avantages aux collectivités. Les économies financières réalisées grâce à une utilisation plus efficiente des ressources numériques peuvent être substantielles. 

La ville de Lyon s’engage notamment dans une lutte contre le réchauffement climatique, la perte de biodiversité et la production de déchets, notamment par la sobriété de ses systèmes informatiques. Elle a d’ailleurs confié un bilan carbone de son environnement numérique au cabinet Carbone 4. Parmi les chiffres clés de cette démarche :

– La ville envisage d’étendre la durée de vie des 6.500 ordinateurs de la mairie, ce qui pourrait permettre une économie de matériel et de déchets de l’ordre 20 %.

– Le bilan carbone couvrira les actifs, y compris les **200 serveurs municipaux**, et divers usages non hébergés.

Cette initiative fait partie d’une approche plus vaste pour la rénovation et la transition écologique de la ville, y compris une réhabilitation thermique complète des bâtiments historiques, dans une stratégie visant une action 100 % transversale.

La collectivité de Grenoble a quant à elle initié un plan de recyclage et de réutilisation des équipements informatiques, diminuant ainsi la production de déchets électroniques et réduisant l’exploitation de matériaux rares.

De plus, en promouvant de nouvelles technologies et pratiques, les collectivités peuvent stimuler l’innovation et créer de nouvelles opportunités économiques dans le domaine du green IT. La région Île-de-France, par exemple, soutient activement des startups spécialisées dans l’écoconception de logiciels, contribuant à faire de Paris une plaque tournante de l’innovation technologique durable.

L’adoption de pratiques numériques sobres peut également renforcer la résilience des collectivités. En optant pour des solutions plus durables et moins énergivores, elles se prémunissent contre les fluctuations des prix de l’énergie et les éventuelles pénuries de ressources.

Les bénéfices de la sobriété numérique se manifestent également au niveau social. En mettant en place des programmes d’éducation et de sensibilisation, comme l’a fait la ville de Nantes avec ses ateliers sur l’utilisation responsable du numérique, les collectivités peuvent encourager une culture de consommation plus consciente et responsable.

La sobriété numérique, loin d’être un simple impératif écologique, représente une opportunité stratégique pour les collectivités territoriales. Elle permet non seulement de réaliser des économies et de réduire l’impact environnemental, mais aussi de stimuler l’innovation locale, de renforcer la résilience et de contribuer à l’éducation et à la sensibilisation des citoyens. Les exemples cités démontrent que l’engagement en faveur de la sobriété numérique est non seulement viable, mais également bénéfique à plusieurs égards pour les collectivités qui choisissent d’emprunter cette voie responsable et avant-gardiste.

Sobriété Numérique en Action : les leviers à enclencher 

Pour réaliser cette transformation vers la sobriété numérique, les collectivités peuvent exploiter plusieurs leviers, tous opérationnels et efficaces en termes de résultats :

  • Investissement dans des technologies économes en énergie : en remplaçant les équipements obsolètes par des modèles éco-énergétiques, la ville de Bordeaux a réduit la consommation d’énergie dans ses bureaux municipaux.
  • Infrastructure responsable : Lille a investi dans des centres de données alimentés par des énergies renouvelables, réduisant ainsi son empreinte carbone.
  • Éducation et sensibilisation des employés : à Marseille, des formations régulières sont dispensées aux employés municipaux pour les encourager à adopter des comportements numériques responsables, tels que l’impression recto-verso et l’extinction des équipements inutilisés.
  • Sensibilisation des citoyens : des campagnes de sensibilisation à Nantes ont informé les résidents sur les avantages de l’utilisation de services en ligne plutôt que de se déplacer, réduisant ainsi les émissions de carbone.
  • Politiques et réglementations adaptées: à Rennes, la mise en place de réglementations obligeant les fournisseurs de services publics à adhérer à des normes strictes en matière d’efficacité énergétique a renforcé l’engagement envers la sobriété numérique.
  • Partenariats avec les entreprises locales: en collaborant avec des start-up innovantes à Lyon, la municipalité a favorisé le développement de technologies durables, créant ainsi un écosystème favorable à la sobriété numérique.
  • Innovation et recherche : la région de Toulouse s’est associée à des institutions universitaires pour conduire des recherches sur l’optimisation de la consommation énergétique dans le secteur public.
  • Programmes de recyclage et réutilisation : à Strasbourg, des programmes de recyclage des équipements électroniques ont été mis en place, favorisant la réutilisation et le recyclage des composants.
  • Incitations financières et fiscales : certaines collectivités offrent des subventions ou des allégements fiscaux aux entreprises qui mettent en œuvre des pratiques numériques sobres, encourageant ainsi une adoption plus large.
  • Suivi et évaluation : la mise en place de systèmes de suivi et d’évaluation à Nice permet de mesurer l’efficacité des initiatives en matière de sobriété numérique, assurant ainsi une amélioration continue.

Les collectivités peuvent ainsi agir sur plusieurs fronts, alliant technologie, éducation, législation, partenariat, innovation et incitations pour créer un changement significatif et durable.

La sobriété numérique représente une réelle opportunité pour les collectivités territoriales en France. Les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux sont tangibles, et le chemin vers un futur numérique responsable est clairement tracé. Nombreuses sont les collectivités qui progressent déjà dans cette direction, combinant leadership, innovation, éducation et réglementation de manière équilibrée. Elles ont un rôle à jouer dans cette transition et elles le font avec une détermination mesurée et réfléchie. Le futur de la sobriété numérique en France est en marche, et il s’annonce prometteur.

Rédigé par Olivia DENIS